LE DISCOURS DU POUVOIR

Essai de rhétorique appliquée

 

(Résumé)

 

Sous le titre Le discours du pouvoir nous proposons au lecteur intéressé un essai de rhétorique appliquée au discours politique. Quelques questions sont impératives au début même de l'analyse rhétorique du discours politique. La première question: qu'est-ce que le discours politique? Dans le contexte de notre investigation sur le discours politique, nous retenons un sens spécial pour la compréhension de ce type de discours: le discours politique est une forme de la discursivité par l'intermédiaire de laquelle un certain locuteur (individu, groupe, parti, etc.) poursuit l'obtention du pouvoir dans la lutte politique contre d'autres individus, groupes ou partis.

 

Cette définition, indubitablement approximative, met en évidence la dimension pragmatique et la force pragmatique du discours politique, souvent associé avec un discours du pouvoir. Le discours politique est profondément lié au pouvoir, et encore il est l'un des plus importants instruments que les forces politiques ont à leur disposition pour leur ascension au pouvoir. Mais, sans doute, les acteurs politiques sont bien intéressés par les mécanismes qui assurent l'ascension au pouvoir. A ce point, le problème de la légitimité du pouvoir est une préoccupation fondamentale.

 

La deuxième question: quelle est la liaison entre le discours politique et la légitimité du pouvoir? A notre avis, la légitimité du pouvoir est un problème de discursivité. L'acte de légitimation du pouvoir pour un groupe politique ou pour un parti politique est le résultat d'une activité discursive de grande amplitude, déroulée sous des formes diverses, avec des intentions différentes et en usant de canaux de communication très diversifiés. D'où cette préoccupation obsessive des groupes politiques pour chercher des formes de discours capables d'avoir un impact profond et puissant sur l'auditeur.

 

En partant de cette compréhension du discours politique et de son rôle dans l'acte de la légitimation du pouvoir, nous avons déterminé certaines caractéristiques du discours politique, des caractéristiques qui font l'identité de ce type de discours dans l'ensemble des formes diverses de la discursivité: l'ambiguïté intentionnelle du discours politique (le discours politique trouve dans l'ambiguïté un instrument de la persuasion), le caractère dissimulé du discours politique (il y a une distance appréciable entre ce que le discours dit et ce qu'il fait), la dimension impérative du discours politique (ce type de discours a comme but de faire le récepteur passer à une action concrète).

 

Si le discours politique a un rôle tellement important dans l'activité de légitimation du pouvoir, alors nous avons toutes les raisons pour chercher à trouver quelles sont les libertés dans le cadre desquelles actionne ce type de discours et, d'autre part, pour voir quelles sont les contraintes que le discours politique subit, les obstacles qui s'opposent à ses actions et à ses intentions. D'abord, les libertés. Le discours politique bénéficie d'une amplitude problématique considérablement plus grande par rapport à d'autres types de discours (le discours philosophique, le discours scientifique, etc.). Tout ce qui pourrait avoir une influence sur la décision du récepteur en ce qui concerne son option sur la légitimité du pouvoir est bienvenu dans le cadre du discours politique et y est utilisé comme tel. Les questions de politique économique, les questions qui concernent l'enseignement et l'éducation, des aspects qui ont en vue la politique administrative, les droits de l'homme et d'autres questions encore sont mises en scène pour accomplir les intentions et le but suivis.

 

D'autre part, le discours politique bénéficie d'une ouverture procédurale significative. Toutes les formes discursives (description, argumentation, explication, narration, démonstration) sont utilisées dans les contextes favorables et en proportions profitables pour influencer l'auditoire, toutes les formes de raisonnement (déductives, inductives, par analogie etc.) sont utilisées pour apporter les preuves devant le récepteur et pour déterminer convenablement son option et sa décision en ce qui concerne la légitimation du pouvoir.

 

Enfin, le discours politique est, peut-être, le seul type de discours où nous assistons à une rationalité de la manipulation, un discours où la manipulation n'est pas considérée un vice, mais une forme et, également, un instrument efficace pour influencer l'auditeur. Nous proposons une forme inédite de systématisation des formes de la manipulation à partir de deux critères: le domaine visé par de l'action manipulatrice et la nature de l'action manipulatrice. En ayant comme domaine le monde des objets, le monde des croyances et le monde des actions, et comme forme (nature) de l'action les actions manuelles / mécaniques et les actions discursives, nous avons obtenu les six formes de la manipulation qui sont analysées plus en détail dans notre investigation.

 

     Les libertés qui donneraient une puissance immense au discours politique sont tempérées par les contraintes de ce type de discours. Une première catégorie de contraintes est les contraintes doctrinales. Tout discours politique est l'expression concrète d'une doctrine politique. Partant de là, le discours politique doit respecter les exigences de la doctrine parce que seulement de cette manière il peut être reconnu comme significatif pour un certain groupe politique ou pour un certain parti politique. Le discours politique se trouve devant une contrainte d'ordre doctrinal. La deuxième contrainte tient à la liaison du discours politique avec la crédibilité. Le discours politique doit être crédible. S'il n'est pas crédible, alors son effet sur l'auditoire est sensiblement diminué. Mais, c'est toujours pareil: le sacrifice qui est fait ne vise pas l'accomplissement du but, mais la crédibilité du discours. Par conséquent, le discours politique va assumer certaines restrictions concernant la problématique, les procédures, les catégories d'auditoire, pour déterminer une influence favorable sur la légitimation du pouvoir. Enfin, il y a des contraintes données par le rapport entre le discours politique et l'intérêt. Le discours politique propose aux récepteurs une construction possible sur le développement de la société. Mais, cette dernière est dominée par les intérêts différents des groupes, des partis et d'autres segments de population. Evidemment, le discours politique doit tenir compte de ces intérêts. Si les intérêts le demandent, certaines choses ne peuvent pas être dites devant l'auditoire. Une nouvelle contrainte du discours politique.

 

Nous avons vu que le concept central dans l'analyse du discours politique reste le concept de pouvoir. Par conséquent, nous avons procédé à une analyse logique du concept de "pouvoir" en utilisant l'appareil de la logique des relations. Le pouvoir est une relation qui présuppose trois éléments: le porteur du pouvoir (celui qui détient le pouvoir), le destinataire du pouvoir (celui qui supporte les actes du pouvoir) et le domaine du pouvoir (le champ de l'action du pouvoir). Si le pouvoir est une relation, alors elle peut être analysée à l'aide de l'instrument de la logique des relations.

 

Toute relation présente une série de propriétés: la réflexivité (une relation est réflexive si un élément de cette relation entre en relation avec lui-même), la symétrie (une relation est symétrique si la relation persiste quand les éléments de la relation changent de place entre eux), la connexité (une relation est connexe si elle se manifeste - directement ou inversement - entre n'importe quels deux éléments du domaine), la transitivité (une relation este transitive si, quand elle se manifeste entre a et b et entre b et c, alors elle se manifeste entre a et c aussi).

 

L'application de ces propriétés à la relation de pouvoir a des conséquences importantes pour une nouvelle vision sur le concept de pouvoir et sur sa fonctionnalité dans le cadre constructif du discours politique. Premièrement, la relation de pouvoir est irréflexive, ce qui signifie que jamais le porteur du pouvoir ne peut être en même temps le destinataire du pouvoir (pour le même domaine de la relation de pouvoir). Par conséquent, le porteur du pouvoir et le destinataire du pouvoir sont toujours différents, ce qui a un résultat remarquable pour le discours politique: le discours ne vise jamais le porteur du pouvoir, mais seulement le destinataire du pouvoir.

 

D'autre part, la relation de pouvoir est antisymétrique. Le porteur du pouvoir ne peut pas devenir le destinataire du pouvoir et le destinataire du pouvoir ne peut pas devenir le porteur du pouvoir dans le même domaine de la relation de pouvoir et dans la même acte de légitimation. Nous observons que la relation de pouvoir est unidirectionnelle (du porteur au destinataire) et, dans un fonctionnement normal (standard), elle ne peut pas être bidirectionnelle. D'où une conséquence importante pour la construction du discours politique: un prononcé caractère polémique pour ce type de discursivité.

 

La relation de pouvoir est transitive. Donc, si un individu quelconque (x) est le porteur du pouvoir par rapport à un individu quelconque (y), et si (y) est le porteur du pouvoir par rapport à (z), alors (x) est le porteur du pouvoir par rapport à (z) qui est le destinataire du pouvoir. Une formulation persuasive de cette propriété de la relation de pouvoir est la suivante: le porteur du porteur du pouvoir par rapport à un destinataire quelconque est le porteur du pouvoir par rapport à ce destinataire. Ou, dans une autre expression: le chef de mon chef est mon chef! Dans certaines conditions: le même domaine de la relation du pouvoir, le même acte de légitimation du pouvoir et la même structure hiérarchique de la relation de pouvoir. Nous soulignons que la propriété de la transitivité de la relation de pouvoir est le fondement de la délégation du pouvoir et encore le fondement de la structure hiérarchique du pouvoir.

 

Enfin, la relation de pouvoir est non-connexe, ce qui signifie que cette relation est sélective: l'individu a la possibilité d'un certain choix sur les relations de pouvoir qu'il assume. Nous constatons que le caractère non-connexe du pouvoir explique la nature du régime politique: la non-connexité est l'expression des régimes démocratiques, la connexité est l'expresion des régimes autoritaires (la tendance de multiplication des relations de pouvoir où l'individu est obligé d'entrer), tandis que la disconnexité est l'expression des régimes anarchiques (la tendance d'éludation des relations de pouvoir).

 

Les deux derniers chapitres de notre investigation sur le discours politique ont en vue l'ordre logique et l'ordre rhétorique de ce type de discours. Nous sommes convaincu que le pouvoir du discours politique, son influence sur l'auditoire, les résultats qui sont obtenus par l'intermédiaire de ce genre d'intervention discursive sont tout à fait dépendants d'une certaine construction logique du discours et, également, d'une certaine organisation rhétorique de cette construction.

 

L'analyse logique du discours politique débute avec une investigation sur les types d'arguments utilisés dans le discours politique. Nous avons en vue les arguments fondés sur les faits, les arguments fondés sur les exemples, les arguments fondés sur l'autorité et les arguments fondés sur la relation d'analogie. La force de conviction et de persuasion de ces types d'arguments est très différente en fonction du domaine de l'argumentation politique, en fonction de l'auditoire et en fonction du but poursuivi par l'intermédiaire d'une intervention politique. Une corrélation profitable entre ces types différents d'arguments peut avoir des résultats importants pour l'intervention discursive. Un élément de nouveauté dans notre analyse logique du discours politique se concrétise dans une ample investigation sur la présence des sophismes dans ce type de discours. En partant des dix règles de la résolution des conflits d'opinion, nous analysons et nous illustrons d'une manière que nous considérons pertinente les dix types de sophismes et leur fonctionnement dans le discours politique. Certains sophismes de la logique classique se retrouvent dans cette systématisation, d'autres sophismes sont de toute nouveauté par rapport à la tradition classique.

 

L'ordre rhétorique amplifie les effets de l'ordre logique. Le discours politique influence l'auditoire non seulement par l'intermédiaire de la construction logique, par l'intermédiaire des raisonnements corrects et en respectant les principes élémentaires de la rationalité, mais aussi par l'intermédiaire des procédures qui ont en vue la sensibilité du récepteur. Ces derniers mécanismes constituent l'armature rhétorique du discours. Un discours politique doit convaincre l'auditoire mais, en même temps, il doit faire plaisir à l'auditoire. Barthes parlait même d'un "plaisir du texte".

 

Nous analysons le rôle du slogan dans le discours politique, étant connu que dans le domaine politique abondent toujours plein de certaines formules discursives avec une grande force de pénétration chez un auditoire quelconque. Une procédure rhétorique avec des fonctions importantes est l'interrogation rhétorique, interrogation qui n'attend pas une réponse mais qui suggère une sentence, une décision, une action. Enfin, une section captivante (pour l'auteur) de notre investigation sur l'ordre rhétorique du discours politique a en vue l'analyse des figures rhétoriques dans le discours politique, un thème classique, mais toujours d'une grande actualité grâce au rôle important de ces figures dans la performance d'une intervention discursive.

 

Pour notre investigation, le discours - et le discours politique particulièrement - est une intégralité. Ce que peut faire un discours politique - par rapport à son auditoire - il le fait par la mise en valeur de ses traits caractéristiques, par l'intermédiaire de la valorisation de ses libertés et par l'action de contrecarrer les contraintes et les obstacles, par une action en consensus avec les exigences d'une logique de la relation de pouvoir, par une corroboration profitable de l'ordre logique et de l'ordre rhétorique de ce type de discours.

 

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